10/10/2010 Jean Claude Sommaire lit Emmanuelle Santelli : « Grandir en banlieue, Parcours et devenir de jeunes d’origine maghrébine »

Jean Claude Sommaire : Emmanuelle Santelli : « Grandir en banlieue, Parcours et devenir de jeunes d’origine maghrébine » (non disponible en librairie, Collection Planète migrations 2007 à commander à : CIEMI 46 rue de Montreuil 75011 Paris

Cet ouvrage, produit d’une recherche financée par les pouvoirs publics, est tout à fait passionnant pour qui s’intéresse à la question des banlieues et à la problématique de l’intégration des jeunes franco- maghrébins qui y vivent très nombreux.

Emmanuelle Santelli, il y a un certain nombre d’années, a travaillé dans un centre social de la banlieue lyonnaise auprès d’enfants âgés de 8 à 12 ans. Devenue sociologue au CNRS, spécialiste de l’étude des trajectoires des familles maghrébines, elle a voulu savoir ce qu’ils étaient devenus. Sont ils toujours dans le quartier ? Quels adultes sont ils maintenant ? Sont ils mariés ? Ont-ils trouvé leur place dans la société ? Certains ont-ils mal tourné ?

En avant propos de l’ouvrage elle a placé quelques extraits d’un livre de Souâd Belhaddad (« Entre deux je, Algérienne ? Française ? Comment choisir ? ») qui annoncent le malaise identitaire présent en arrière fond des 300 pages de son étude « …Vivre comme les français mais ne pas faire comme eux… Être une dedans, et une dehors, et sans cesse devoir négocier entre les deux… Je n’en peux plus de porter deux mondes, le dedans, le dehors : la honte dedans, la frime dehors… »

Pendant un an, Emmanuelle Santelli est revenue passer de longues heures dans cette banlieue lyonnaise, à laquelle elle était très attachée, mais où elle n’a pas souhaité vivre pour des raisons d’ordre familial. En effet se trouve ici l’un des premiers grands ensembles de l’agglomération, construit par des architectes animés d’une vision progressiste de l’habitat, lequel, malgré de nombreuses réhabilitations, s’est progressivement dégradé et dévalorisé. Ce quartier n’est pourtant pas loin du centre ville, des transports publics permettent d’y accéder facilement, mais beaucoup de commerces et de services l’ont déserté en raison de cette évolution négative.

Ce travail de terrain a été éprouvant pour Emmanuelle Santelli car, malgré son fort engagement passé dans ces lieux, elle s’est sentie y être devenue totalement étrangère et perçue comme telle par les habitants. Les rapports avec les enquêtés qui y vivent encore ont été difficiles.

Des jeunes hommes en échec social l’ont maintenu à distance, au nom de l’islam, en sa qualité de femme. Elle a compris que, pour eux, imposer par la violence symbolique, voire physique, un ordre moral au nom de la religion, était un moyen pour se donner une autorité et retrouver une forme d’estime de soi. Cependant, après bien des difficultés, un dialogue a quand même été possible avec ces interlocuteurs là qui, auparavant, avaient rarement eu l’occasion de pouvoir discuter véritablement avec une femme, diplômée de surcroît. Certains lui ont même déclaré en avoir été heureux.

Commençant son travail d’investigation fin 2002, elle est frappée par le profond décalage qui existe alors entre les lumières de Noël du centre ville, avec ses boutiques regorgeant de cadeaux, et la grisaille du quartier où elle enquête. Certes les habitants y sont majoritairement musulmans mais à aucun moment, au cours des mois suivants, notamment pour la fin du ramadan, quelque décoration particulière viendra y signifier un temps de fête. Ce quartier connaît toujours la même monotonie, sans ancrage spatial et sans temporalité, ce qui peut expliquer, pour elle, le malaise éprouvé par certains jeunes à passer d’un lieu à un autre tellement, aujourd’hui, l’écart peut être devenu important entre des espaces pourtant géographiquement très proches.

Dans cette étude quatre thématiques sont principalement développées- l’école, l’emploi, le quartier, l’individualisation- qui ne peuvent pas être résumées ici mais qui, au-delà des chiffres et des tableaux, comportent beaucoup de réflexions intéressantes : les discriminations socio ethniques dès l’école, l’évolution des jeunes femmes par rapport à la situation de leurs mères, les situations durables de non travail, l’amertume des diplômés occupant des emplois déqualifiés, etc. Les analyses de l’auteure sont accompagnées de nombreux témoignages des personnes enquêtées exprimant à la fois leur profond attachement au quartier où elles ont grandi mais aussi d’intenses souffrances psychiques et sociales.

Les 200 personnes enquêtées ont été regroupées en quatre grandes catégories :

1- Les « outsiders », en situation de précarité, restés dans le quartier

2- Les « intellos précaires », également restés dans le quartier, mais en attente de stabilisation

3- Les « self made men », insérés en dehors du quartier, mais qui ont conservé des liens importants avec lui

4- Les « actifs stables » qui ont réussi en dehors du quartier et n’ont plus aucun lien avec lui

En conclusion de son ouvrage Emmanuelle Santelli exprime un fort sentiment d’impuissance et de désenchantement devant ce qui lui semble être devenu, dans ces quartiers, une forme d’apartheid social maintenant érigée, de fait, en système. Elle invite toutefois les pouvoirs publics à essayer de porter un autre regard sur les jeunes qui en sont les victimes afin qu’eux-mêmes puissent modifier le leur à l’égard de notre société, cette « reconnaissance » lui apparaissant être un préalable incontournable à leur inscription dans un « bien commun partagé ».

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