Consacrée à l’analyse, l’étude et l’intervention sur les questions de l’être ensemble dans la diversité, l’association REGARDS s’est toujours abstenu de prendre une position publique même lorsque les débats nationaux interpellaient ses réflexions.
Il semble qu’à l’approche d’échéances électorales disputées, les enjeux de la diversité vont prendre le devant de la scène dans une bipolarisation brutale entre celles et ceux qui l’accepteraient et la
travailleraient, déconsidérés et relégués au rang de doux rêveurs à tenir éloignés des commandes politiques, et celles et ceux qui la récuseraient au nom d’un républicanisme absolu, ou d’un supposé réalisme qui légitimeraient leur accès aux centres de décision.
Cette prise en otage de la diversité dont bénéficie la France depuis la nuit des temps ne peut être acceptée. L’Histoire a montré et montre encore que le discours de rejet de l’Autre se retourne toujours contre son auteur qui finit inéluctablement par se dévorer lui-même. Les racines psychanalytiques en sont profondes et leur connaissance devrait inciter à plus de prudence. Malheureusement, le simplisme semble aujourd’hui de rigueur, tout comme la stratégie du bouc émissaire faisant porter l’ensemble des péchés de la société par des catégories sociales facilement
identifiables, puisque visibles.
Quelles qu’en soient les justifications avancées, aucune stratégie politique de cette nature ne saurait bâtir une société libre, équitable et juste, dont se targue pourtant la République sur tous ses édifices.
Devant la surenchère médiatique et politique, il nous apparaît donc urgent de réaffirmer que chacun d’entre nous est nécessairement « Autre », source de la diversité humaine, seule garantie de la survie de l’espèce et à ce titre, l’Autre est d’abord une chance pour nos sociétés, qui plus est mondialisées. De plus. la définition même de l’Autre est complexe et ne peut se résumer à une couleur, une religion ou un lieu de naissance, à moins de revenir aux années les plus sombres de notre Histoire.
De redire l’importance de travailler collectivement nos traumatismes partagés que sont la colonisation et l’esclavage, jamais véritablement élaborés comme un héritage douloureux et dont les cicatrices restent encore béantes. Cet héritage restera indépassable tant que la société française ne se dotera pas des outils de réflexion et des méthodes pédagogiques telles que ceux mobilisés par
l’Allemagne d’après le nazisme. Tant qu’il sera refoulé, cet héritage empoisonnera notre vie politique et sociale, offrant des explications primaires aux phénomènes sociaux et économiques
complexes et brouillera irrémédiablement nos capacités démocratiques d’analyse politique.
Autant dire que la route prise actuellement par le discours politique français est une impasse dont nous ne pouvons sortir qu’en faisant demi-tour !
Non, le Front National n’est pas le réservoir de voix à séduire ! Ce parti ne peut que puiser plus de légitimité et se renforcer par les tentatives maladroites d’absorption de ses idées par les partis qui
s’autoproclament encore républicains. Le vrai réservoir de voix ce sont ces millions de laissé-e-s pour compte dans les « quartiers », qui, malgré tout, espèrent encore dans la démocratie comme certains pays l’ont récemment brillamment exprimé, mais qui se détournent d’une politique qui fait la part tellement belle à leur propre exclusion. C’est là, dans ces zones où les dernières élections régionales ont vu 75% d’abstentions (décidant donc d’une majorité avec à peine 1/8 ème du peuple électeur!), que résident les véritables potentialités démocratiques.
C’est en donnant la parole et espoir à ces Français-e-s (pas encore tout-à-fait comme les autres semble-t-il) que se niche l’avenir de notre démocratie. Le droit de vote va au-delà d’une prise de
position qui contrecarre l’Autre (même politique), car il vise à construire une société qui respecte les valeurs du citoyen dans toutes ses diversités.
Cherchant à débusquer cet avenir, REGARDS travaille avec les actrices et acteurs de terrain sur les questions de cultures, d’identités, de communautés et d’appartenances avec la seule espérance que ces notions puissent un jour avoir droit de cité dans le discours politique français. Cette démarche veut s’imprégner des préoccupations professionnelles et éthiques des intervenant-e-s confronté-e-s au double enjeu contradictoire du respect de leurs missions et de celui des libertés des personnes. Les solutions se sont inventées au fil des expériences et ont débouché sur une pratique réfléchie avec de fortes implications politiques qu’il nous paraît aujourd’hui important d’affirmer.
La République ne s’est pas fondée sur l’exclusion. Au contraire, elle a toujours voulu inclure, même les citoyens plus éloignés et, malgré les violences inhérentes au geste brutal d’assimilation, c’est ce qui en a fait le succès du XIX° siècle. Cependant, à l’heure de la globalisation, les outils d’inclusion ont évolué et il serait bon que le discours politique tienne compte de cette évolution. Au risque
sinon de générer une nouvelle Restauration, non de la monarchie, mais du vrai fascisme qui traversait toute l’Europe des années 30, fasciné par l’uniformisation des sociétés au service d’un chef
unique, identitaire et exemplarisé.
« Indignez-vous ! » écrivait Stéphane Hessel récemment, peut-être conviendrait-il d’ajouter : « Osez penser différemment ! »
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