Il n’est pas étonnant par les temps qui courrent de voir la campagne présidentielle menée à droite se focaliser sur l’autre, l’étranger, dans la perspective parfaite du bouc émissaire sur lequel vont reposer tous les péchés afin de purifier la société. La récente sortie du Premier Ministre qualifiant l’abattage Halal (et pour le coup Casher) de « pratique ancestrale qui ne correspond plus à grand chose » ne fait pas exception.
Évidemment, la première confusion saute aux yeux entre une pratique en elle-même et sa visibilité sociale. Je continue à torturer mes huîtres et mes coquilles Saint Jacques, perpétuant en cela une pratique ancestrale dont nous nous glorifions d’ailleurs qu’elle ait sa place au sein du patrimoine mondial de l’humanité, sans que personne n’y trouve à redire. Or, la rétractation de la frange de l’huître au contact du citron ou la palpitation du pied de la coquille sous la lame du couteau comme un petit coeur blanc n’ont rien d’anodin, même si les mollusques sont réputés ne pas avoir d’âme…
La seconde confusion est moins anecdotique car, au travers d’un mode d’abattage, qui reste au demeurant effectivement discutable scientifiquement, c’est surtout l’affichage et la revendication d’identité qui sont visés. Et d’identité musulmane, car les magasins Casher s’affichent depuis des décennies sans qu’aucun premier ministre n’ait qualifié l’abattage Casher de « pratique ancestrale qui ne correspond plus à grand chose »…
Or, précisément l’explosion, indiscutable, de cette revendication d’identité Halal provient de ce qu’on appelle le renversement des stigmates. Portée massivement par les jeunes générations, cette revendication fait en effet suite à un double stigmate : celui d’être jeune et celui d’être issu de la diversité.
Leurs parents n’avaient pas de telles revendications, sans qu’ils se soient auto censurés, et quand on parle avec les mamans, elles se montrent souvent surprises par cette réaction et, certaines d’entre elles disent qu’elles se sont mises au Halal sous la pression de leur enfant.
Ce faisant, les jeunes renversent la situation coloniale, sans doute sans le savoir mais sous la pression de notre inconscient collectif. Celui-ci, bien présent et très puissant, est ce qui nous fait sursauter lorsque, en cherchant à se restaurer dans un quartier, on ne trouve plus de commerce qui n’affiche son caractère « Halal » en dehors du « chinois » qui, du reste est généralement vietnamien. Même la pizza est Halal!
Mais à bien réfléchir sur cet inconscient collectif, qu’est-ce que la République avait exporté pendant les 150 ans de domination coloniale ? Un état laïc comme on le crie haut et fort aujourd’hui, ou la France, première fille de l’Église ? Sans doute un mélange des deux.
Le succès du film « Des hommes et des dieux » est là pour montrer que dans l’imaginaire français actuel, la présence de missionnaires charitables suscite encore fortement l’admiration.
Historiquement, le premier à suivre l’explorateur était toujours ce missionnaire, suivi par le médecin, parfois, comme Livingstone, il était les trois à la fois. Point n’est besoin de chercher beaucoup pour trouver des clochers d’églises encore présents dans ces terres aujourd’hui libérées.
Notre sursaut face à l’expansion visible du Halal est la prolongation du souvenir laissé dans notre mémoire collective de notre propre expansion coloniale, engendrant la confuse (pour ceux qui sont de bonne foi, consciente et affirmée pour l’extrême droite) crainte d’être « colonisé » de la même façon que nous-mêmes l’avons fait, mais cette fois au sein de notre propre espace religieux, ce qui correspond à une insoutenable dégradation de statut.
On peut s’en relever et regarder vers un avenir pluriel, mais ce qui me préoccupe le plus, c’est cette génération qui, sous le poids de ces stigmates, grandit dans cette vision paranoïaque. Elle qui croit s’émanciper par l’inversion des stigmates, alors qu’elle s’enferre dans des contraintes et obligations qui renvoient aussi aux questions fondamentales des postures et rôles des sexes dans la société.
Ce sont ces jeunes, parfois très jeunes, qui se socialisent en maniant de façon permanente les notions du pur et de l’impur dont on sait qu’elles sont à la base de toutes les exclusions et débouchent sur des massacres.
Ces enfants qui dès leur plus jeune âge se trouvent confrontés à la notion de péché qu’ils perçoivent les menacer partout dans leur environnement et ce, sous leur propre pression, alors même que leurs parents leur disent de ne pas trop en faire.
Ces jeunes qui se pensent détenir la vraie foi, reproduisant exactement trait pour trait ce que les missionnaires défendaient dans les pays colonisés.
Alors que faire ? D’abord on ne le dira jamais assez, stopper la stigmatisation dont on a vu qu’elle était le moteur même de ce mouvement. Stigmatisation non seulement de l’Autre, de la diversité, des religions, mais aussi des jeunes car ils sont tout autant stigmatisés dans leur pays d’origine qu’en France et ne peuvent qu’en concevoir plus d’amertume et de rage.
Ensuite mettre en place des espaces de débat et d’échange sur les questions du vivre ensemble alors que nous partageons un lourd héritage colonial dont les traces sont visibles de façon de plus en plus criarde, hurlante dans notre société quotidienne, en directe proportion avec notre propension à vouloir ne jamais en parler.
Enfin lever l’hypocrisie sur une laïcité qui est en réalité à plusieurs vitesses socio-historiques.
C’est exactement à l’opposé des saillies de notre ministre de l’intérieur et de notre premier ministre, censés être les garants de la République laïque et tolérante.
Sur ce sujet, voir le livre collectif : A croire et à manger dont le sommaire est en ligne.
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