3 janvier 2012 : La médecine coloniale

L’émission d’Arte sur les médecins de brousse  malheureusement aujourd’hui indisponible comporte de nombreuses interrogations et une ambiguïté inhérente au dispositif. En effet, les documents historiques de grande valeur nous montrent le bon docteur Jamot en action, tel qu’il a souhaité se mettre en scène en visant le prix Nobel de médecine qu’heureusement il n’a pas eu ! Nous pouvons voir aujourd’hui en regardant ces images combien l’idéologie était coloniale, rabaissant l’indigène à du bétail qu’on peinturlurait à loisir sur la poitrine pour déterminer si oui ou non il méritait un traitement, où la question de la dignité ne se posait même pas « Ils ne savaient rien » dit l’un des interlocuteurs. Les malades d’un coté, les sains de l’autre…

Les médecins militaires interviewés semblent tous confirmer l’idolâtrie vouée à ce grand homme des grandes endémies, même si l’un d’entre eux mentionne la colonisation comme un des facteurs déterminants de la pénétration de la maladie du sommeil dans ces contrées. Il faut attendre la moitié du documentaire pour entendre enfin Achille Mbembe donner une analyse distanciée de ce médecin ambitieux et brutal (« violence habituelle à l’époque » justifie un des médecins interrogés), et surtout permette de comprendre dans quel contexte anthropologique s’inscrit ce geste d’aller dépister, trier, soigner. Grâce à lui, on comprend qu’il faut avoir une lecture au vrai second degré de ce documentaire, qui se veut dérision sans jamais l’afficher. Lecture subtile s’il en est, tant il manie les stéréotypes éculés sans aucun avertissement. Lecture je crains hors de portée du téléspectateur moyen.

Il en est ainsi de cette caricature de colon médical qui continue d’affirmer qu’il arrivait que le « chef du village lui propose des femmes » lorsqu’il passait des nuits en brousse, archétype du cliché colonial. Je peux témoigner, étant de la même génération et ayant crapahuté célibataire en brousse en Ouganda, en Centrafrique, au Botswana que jamais telle proposition ne me fut faite! Et j’en suis très fier car, si cela fut le cas pour ce monsieur, je suis convaincu qu’il s’agissait d’une demande explicite de sa part…

Important est de comprendre les traces qu’a laissées cette idéologie verticale des grandes endémies qui se fixait un seul objectif de santé, oubliant que les patients sont aussi paludéens, diarrhéiques, malnutris, et tuberculeux et donc auraient eu besoin d’une prise en charge globale et extensive.

Ainsi, en 1978, il y a prescription maintenant et je peux en témoigner publiquement, lorsque je suis allé occuper le poste de coopérant VSNA en Zambie qui m’était destiné en Zambie pour valider mon service militaire, je fus confronté à un programme d’essais vaccinaux quadrivalents en pleine forêt qui requéraient une prise de sang artériel fémoral à des enfants de 2 ou 3 ans dans des conditions d’hygiène qu’on imagine, essais mis au point par Lapeyssonnie, héritier illustre de Jamot. Avec le collègue arrivé en même temps, nous avons refusé tout net de nous prêter à cet exercice pour des raisons éthiques qui aujourd’hui semblent évidentes mais qui à l’époque étaient balbutiantes. Contrairement à nos prédécesseurs qui n’osaient ou ne voulaient pas le faire pour de multiples raisons. Nous ne fûmes nullement inquiétés par ce refus, malgré notre appartenance militaire à l’époque, la crainte que cela ne s’ébruite étant sans doute une bonne raison, mais aussi peut-être parce que les essais étaient quasi terminés…

Léon Lapeyssonnie nous a par la suite accompagné dans les reconversions de la mission zambienne sans rancœur ni quelconque reproche. L’explosion de l’épidémie de choléra sur la rive sud du lac Tanganiyka lui fit préconiser la distribution de sulfamides (non dénuée de risques du fait de certains déficits enzymatiques au sein de cette population) mais, sous pression du gouvernement zambien, nous avons dû vacciner inutilement des milliers de personnes à l’injecteur mécanique! Au risque (mais on ne l’apprit que des années plus tard) de favoriser la transmission d’un VIH alors encore endormi.

De telles erreurs sont fréquentes aux conséquences catastrophiques pour la population. Un récent ouvrage (Guillaume Lachenal : Le médicament qui devait sauver l’Afrique : un scandale pharmaceutique aux colonies, La découverte, 2014) en donne le récit de façon passionnante, démontrant comment ces grandes endémies ont du lâcher prise sur le traitement préventif de la trypanosomiase par la lomidine, à la suite d’épidémies d’effets secondaires largement passés sous silence. De fait Lapeyssonnie dans ses ouvrages autobiographiques (Toubib des tropiques Robert Laffont 1982 et La médecine coloniale, Seghers 1988) n’y fait pas même référence, alors que le dépistage et le traitement des cas avérés y ont la part belle.

Plus récemment, la grippe H1N1 a donné l’occasion à ces médecins de s’exprimer de nouveau avec les centres de vaccination qui, certes étaient disproportionnés eu égard à la faiblesse de la gravité de ce virus mais pourraient l’être si le H5N1 de la grippe aviaire, mortel, ou aujourd’hui Ebola devenaient aussi très contagieux. Que ceux qui se sont trouvé impliqués en tant que vaccinateurs ou vaccinés sachent que ces méthodes datent précisément des grandes endémies coloniales…

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