11 mai 2020: vers la libération ? ou les explosions des clivages ? ___________________ Été 2020 : Vade retro corona ! ____Octobre 2020 : Encore, encore !

Deux mois de confinement et voilà le vrai printemps. Deux mois de contrôle social absolu, deux mois de délinquance dès qu’on met le pied dehors sauf  « autorisation DÉROGATOIRE de sortie » (et on doit remercier pour la dérogation), comme au temps de l’occupation, ou au temps de l’adolescence où il fallait une autorisation de sortie de territoire signée par les parents.

Deux mois à jouer au gendarme et au voleur pour grappiller quelques minutes de liberté.

Et ça parait normal, tant la communication s’est organisée autour de la calamité qui nous est tombée dessus comme une punition divine. Et les valeurs déclarées au nom des quelles les décisions prétendaient être prises étaient tellement sacrées (santé, mort, vie, ne pas penser économie, collectivité, etc.) que, devant tant de religiosité, personne n’a osé les questionner – blasphème contre ce qui relevait en réalité de pure spéculation millénariste.

Dans l' »opposition », chacun y est allé de son « je vous l’avais bien dit », rebondissant sur l’atmosphère de fin du monde apocalyptique qui règne depuis 30 ans : les écolos avec la biodiversité menacée (mais les pathologies transmises de l’animal à l’homme existent depuis que l’homme existe, -et j’ai eu l’occasion de les étudier au Botswana, mais tant qu’elles restaient confinées à quelques villages reculés, on s’en fichait  [1]), les anticapitalistes avec le capitalisme (oui, mais la Chine…), les extrêmes droites avec l’immigration (oui, mais l’Allemagne est nettement moins touchée), bref, au lieu de remettre en cause la pertinence même de la notion de calamité transcendante, chacun l’a entretenue tant elle alimentait son propre moulin. La culpabilité d’être juste là, de simplement exister, le péché originel sont trop fortement ancrés dans les esprits, et bien pratiques pour alimenter les polémiques, pour pouvoir être remis en question.

Deux conséquences psychosociales se sont progressivement révélées, très bien identifiées mais remises au gout de la modernité scientiste:

  • la psychose panique acceptée comme une fatalité avec ses conséquences punitives. Entre autres, et parmi les châtiments plus caricaturaux : plus de plage, plus de forêt, plus de randonnées, surtout pour les parisiens qui doivent être privés de tout, les cafés étant (à juste titre épidémiologique pour le coup) fermés. Cette punition est normale, attendue, alimentée par la culpabilité d’exister, elle-même activement relayée par les injonctions de ne pas aller se montrer dans cet espace public. Des grands prêtres de la Science majuscule avec une autorisation officielle nous tiennent des propos eux aussi apocalyptiques, mais cette fois dont la prédiction serait effective, concrétisée: regardez ce qu’on nous montre des services hospitaliers (parfaitement débordés, c’est incontestable, mais quelle en serait la vraie cause?).
    Corollaire de cette psychose, la paranoïa qui fustige toute transgression comme péché mortel, tout discours un peu différent étant vécu comme menaçant l’ordre social et donc la vie même de la société, sera caricaturé, moqué, conspué, écartelé en place publique par de autorités soucieuses de lutter contre les « fake news » (concept où se mélangent de vraies désinformations et de simples contestations de la doxa).
  • la catharsis des solidarités : depuis les applaudissements sur les balcons du 20 heures jusqu’aux récits plus ou moins arrangés des courses faites pour les uns, des coucous virtuels pour les autres… On s’affiche solidaire, on se montre héroïque à défaut de l’être vraiment à une époque où (enfin?) l’héroïsme serait accessible.

Ces deux pôles se mélangent et puisent toute leur énergie dans les clivages fondateurs des sociétés humaines: les « malades » et les « sains » pour organiser le monde entre les « bons » et les « mauvais », les « pécheurs » et les « saints ».

  • Les bons dans l’ordre hiérarchique : ceux qui soignent et prennent des risques, ceux qui sont parfaitement obéissants et restent chez eux, ceux qui félicitent les héros et donc en partagent la doxa, ceux qui ne sont pas malades…
  • Face à eux les mauvais: les désobéissants, les contestataires des ordres, ceux qui sont présentés comme menaçant l’ordonnancement social et sa pensée. Dans le désordre: les malades qui ne se cachent pas, les porteurs sains, encore plus perfides puisqu’on ne peut les détecter à l’œil nu, les banlieues où le confinement n’est pas très bien respecté, les joggeurs qui envahissent les parcs, les parisiens qui osent se promener sur la plage, les apéros clandestins en cave ou, mais c’est plus visible, en roof top.

Les images de ces transgressions (et de leur châtiment policier – « bien mérité ») envahissent les réseaux sociaux et mobilisent l’ensemble de l’espace médiatique, au même titre que dans nos églises ou temples de toutes religions, les icônes édifiantes des péchés capitaux que châtient des démons justiciers [2].

Même au moment du déconfinement, l’image ne nous a pas été épargnée des « péchés mortels » du canal St Martin et de Montmartre! Et leurs conséquences en termes de châtiments collectifs: plus d’alcool, pas d’ouverture des parcs parisiens, et réprobation générale de l’ensemble de la collectivité humaine « saine d’esprit »…

Ce manichéisme rassure en même temps qu’il incite à l’obéissance civile: je reste dans mon « chez moi » (mieux il est, mieux je suis) et je condamne tous ceux qui ne font pas la même chose, sans me poser la question de leur « chez eux » et, pire, sans même penser à mettre en question la pertinence épidémiologique de toutes ces brimades.

Car, au final même les banlieues ont été moins touchées que ce qu’on pouvait craindre, la Suède non confinée n’a pas été rayée de la carte…

Évolution comparée des taux d’incidence hebdomadaires pour 100 mille habitants de décès en France (en rouge) et en Suède (en vert) entre la première et la 32ème semaine de l’épidémie de Covid. Dans les 2 pays les maximums sont atteints simultanément en 4ème semaine. Source Laurent Tubiana

L’expérience du choléra an Zambie en 1979 m’avait montré combien il était surtout essentiel de soigner les gens à domicile, que les malades ne devaient surtout pas être transportés, pissant le vibrion par tous leurs pores. Et combien dire aux gens de rester chez eux n’avait pas de sens, sauf policier pour les y contraindre, ouvrant la porte à toutes les clandestinités, bien plus périlleuses. Cet épisode m’avait aussi montré à quel point le politique, se sentant démuni devant de telles « calamités » vécues comme démoniaques, se devait de reprendre la main en nous demandant de vacciner toute la population (laquelle en voulait absolument), tout en sachant l’inefficacité de ce vaccin. Devant le Diable, il fallait agir, rien n’était pire que l’inaction et, dans un pays alors en guerre, les approvisionnements qui nous parvenaient de la capitale étaient on ne peut plus adéquats: pas de soluté de perfusion, out of stock mais du PQ par camions entiers, du PQ, que du PQ…

Le pseudo transgresseur Didier Raoult avec son protocole bancal ne fait rien d’autre et alimente lui-même le registre de la calamité contre laquelle « tout est permis », sauf de ne rien faire. Dans un jeu de rôle réciproque, s’il tire sa prestance et sa gloire d’une posture d’hérétique que complaisamment tous les Cassandre lui offrent en surjouant les catastrophes, ces dernières s’en trouvent plus crédibles. La calamité divine est donc bien réelle pour les deux, seules diffèrent les réponses apotropaïques : pour lui la chloroquine, pour les autres, les orthodoxes, le confinement! Les méchants, les démons, seront tous ceux qui oseront le transgresser, voire en simplement questionner la pertinence.

De fait, le confinement entretient le clivage: les bons contre les mauvais, et, parmi ces derniers, les grands classiques resurgissent: les malades, les étrangers, les pauvres, les banlieusards, les urbains réfugiés à la campagne (la photo ci-dessus a été prise sur une toute petite route en impasse qui ne mène qu’à des falaises absolument désertes en Normandie, il ne lui manque qu’un vautour pour en faire notre Far Ouest), les vieux, les joggeurs crachotant, les cyclistes bousculant, les individualistes qui sortent, les patrons capitalistes forcenés, les dictateurs latino américains aveuglés. Toutes les critiques se trouvent ainsi amalgamées en un magma informe d’irrespect, d’irreligiosité, et, donc forcément puant.

Dans ce climat de psychose, de culpabilité refoulée, des mesures, encore impensables naguère, seront prises sans que personne n’y trouve à redire (sauf quelques grincheux du Conseil Constitutionnel) : au-delà de l’ausweis pour circuler en bas de chez soi (puis à plus de 100 km), Stopcovid (puis touscontrelecovid, c’est plus modeste) qui réinvente la crécelle numérique du lépreux que le malade doit obligatoirement activer sous peine de ?(on ne sait pas encore, à l’époque c’était la mort) ; la dénonciation du malade aux autorités par son médecin ou même par la gardienne de son immeuble (comme c’est officiellement demandé par les gestionnaires d’immeubles), sans parler de tout ce qui va être décidé en catimini pour « rattraper » le retard économique…

En plein été, alors qu’on fustige les « cas asymptomatiques » (alors qu’on devrait se réjouir que ce virus est le plus souvent anodin), le masque est présenté comme une panacée. Pourtant, il y a 10 ans, seuls les masques FFP2 avaient la compétence pour arrêter le virus H1N1. 10 ans plus tard, en tissu, réutilisés, quels qu’ils soient, les masques sont présentés comme pouvant chasser le corona! Exactement comme les oignons (ou le crucifix) pour chasser les vampires naguère… Jusqu’à en imposer l’usage dans l’espace public (au-delà des magasins) sous peine de prison (donc de contamination en zone collective), il y a quelque chose qui m’échappe dans ce raisonnement. Gare à ceux qui n’en ont pas sur les places et les rues, mais pas aux terrasses des cafés et restaurants! Là encore l’irrationnel semble avoir pris le dessus. Nouvelle religion? De fait, a-t-on pensé à lever l’interdiction du niqab dans l’espace public (loi du 11/10/2010 circulaire du 2/03/2011 qui stipule : « nul ne peut, dans l’espace public porter une tenue destinée à dissimuler son visage ») ? Sinon les forces de l’ordre seront bien embêtées : face à un non masqué dans la rue, je verbalise, face à une femme voilée, je verbalise aussi. Qu’est-ce qu’on fait chef ? (en fait, le texte de loi prévoit des exceptions sanitaires, mais l’arrogance des discours contradictoires à 10 années d’écart prête à sourire)

La doxa a tellement puissamment imprégné les esprits qu’émettre quelques doutes fait figure de blasphème, de « crime de lèse faculté » (Molière). Au point que sont brandis les épouvantails Trump ou Bolsonaro dès que la question de la pertinence d’un tel confinement militaire est à peine effleurée. Alors même que d’autres épouvantails ont bien profité de ce virus pour asseoir leur pouvoir policier et sa violence (Duterte, Orban, etc.), mais on reste bien discret sur ces derniers. Sur l’utilisation de ces figures diaboliques du « populisme » comme épouvantail pour accréditer la nécessaire soumission au biopouvoir, il faut lire l’excellent article de Thomas Franck dans le Monde Diplomatique d’août 2020 (https://www.monde-diplomatique.fr/2020/08/FRANK/62105) qui remet les choses en place.

Surtout que la pertinence épidémiologique mérite d’être posée : la science n’est pas un dogme intangible et inquestionnable, une Vérité majuscule. Bien au contraire, et surtout dès lors que l’on manipule les statistiques, c’est un lieu de débat. Des travaux d’automne montrent que, à l’opposé des prévisionnistes de seules catastrophes,  les affirmations à l’origine du reconfinement sont totalement sujettes à caution. On a ainsi vu ce que le confinement pouvait avoir d’inefficace aux temps du choléra (ceux qui le pouvaient se confinaient seuls, ceux qui ne le pouvaient pas transgressaient quoiqu’il arrive). On sait aussi depuis très longtemps que ce que les anciens dénommaient avec beaucoup de sagesse le « génie » épidémiologique de tel ou tel microbe qui met systématiquement à mal toutes nos prédictions mathématiques. Le chaos n’est pas toujours prévisible [3] et, à l’opposé, il peut survenir aux endroits les plus improbables: qui aurait prédit une flambée estivale à Laval, peu réputée pour son cosmopolitisme et sa foule de touristes coronarisés ?

Au-delà donc de l’efficacité épidémiologique en termes de restriction de la circulation du virus (inefficacité qui est aujourd’hui établie pour les écoles [4]), les effets secondaires d’une telle mesure de confinement devraient aussi être pesés au même titre que n’importe quelle pratique de soins. Un placebo est-il justifié s’il provoque un effet nocebo dont on commence tout juste à percevoir la réalité [5]?

Mais cette question ne peut être posée: la calamité, perçue comme transcendante, rend le châtiment d’origine divine (verticale) parfaitement légitime, dans un registre où la discussion n’a pas sa place. Exactement comme l’assurance que la e-santé ne peut être que porteuse de bienfaits, toujours la même fascination exercée par la « technologie » et ses idoles statistiques.

A croire que la revanche de l’ordre établi, des bonnes convenances et des sages postures soit enfin arrivée, après un demi-siècle d’errance soixante-huitarde. A croire que tous les acteurs médicaux de cette crise qu’on nous montre dans les médias, tous issus des générations sida, aient envie de prendre eux-mêmes leur revanche sur ces patients qui les avaient contraints, épidémie de VIH oblige, à rétrocéder une grande partie de leur pouvoir, particulièrement moralisateur (l’abstinence était présentée dans les années 80 à l’OMS comme la solution miracle contre le sida), aux patients. Aujourd’hui on voit les mêmes asséner des « vérités » qui ne sont que des postures (à l’origine de cette impression de cacophonie) et diviser le monde entre « bons » et « mauvais », les critiques contre lesquels l’opprobre nationale doit se manifester. Alors même que le succès de la lutte contre le sida a reposé sur trois mots: tolérance, empathie, liberté.

Parviendrons-nous à sortir de ces clivages du corona?

Ou bien, sidérés, paniqués, culpabilisés, paralysés, nous laisserons nous envahir par la tentation du totalitaire ? A la ré-émergence de la « religion de la Science », comme le faisait Raspail, du scientisme dogmatique renforcé par l’illusion technologique. Reprendre (avec nos moyens démultipliés) ce qui, dans les années 30 avait justifié la publication d’un simple et parfaitement anodin timbre. Au nom de cette même prétendue santé collective, la Poste, en 1937, alors sous le Front Populaire pourtant particulièrement progressiste, trouvait en effet légitime, naturel, évident, d’émettre un timbre intitulé « Pour sauver la race » au profit de la société de prophylaxie morale et sanitaire, réédité sans vergogne deux ans plus tard… Quelques mois avant l’invasion nazi.

On a vu où ce scientisme nous a tous menés.

La fac de Bobigny n’a d’ailleurs pas hésité en 2021 :


  1. S. Tessier, P. E. Rollin, P. Sureau : Viral haemorragic fever survey in Chobe (Botswana) Transactions of the Royal Society of Medicine and Hygiene ; 81 ; 1987 ; 699-7
  2. Carla Casagrande & Silvana Vecchio: Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Flammarion, 2003
  3. S. Tessier, G. Rémy, J.P. Louis, A. Trebucq : The frontline of HIV1 diffusion in the central african region : a geographic and epidemiologic perspective; International Journal of Epidemiology ; Vol. 22 ; N°1 ; 127-134
  4. https://www.thelancet.com/journals/lanchi/article/PIIS2352-4642(20)30095-X/fulltext#articleInformation
  5. http://www.ccomssantementalelillefrance.org/sites/ccoms.org/files/pdf/CLSM-confinement-Covid19_CCOMS_Mai2020.pdf et
    https://www.santelog.com/actualites/covid-19-un-declencheur-de-solitude-chronique?utm_campaign=%5BPROD%5D+Sant%C3%A9+log+-+Newsletter+Flash+du+31%2F07%2F2020&utm_source=Site+-+NL+Hebdo+et+flash&utm_medium=email

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