© Bibliothèque nationale de France
Publié dans le catalogue de l’exposition l’âge d’or des cartes marines, Seuil BNF, 2012, dont certaines illustrations sont en ligne
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public : Histoire monde, jeux d’échelles et espaces connectés, Paris Editions de la Sorbonne, 2017.
Cet ouvrage collectif récent (mais rare et difficile à trouver en librairie) reprend les contributions des auteurs médiévistes au 47ème congrès de la Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public qui s’est tenu à Arras en mai 2016.
Relativement ardu dans certaines de ses contributions, cet ouvrage universitaire très spécialisé n’en demeure pas moins passionnant en ce qu’il décrit des façons de voir et gérer l’altérité à la fin du Moyen Âge.
L’introduction de Jérôme Baschet dessine bien les façons d’aborder l’histoire de cette période où rares étaient les voyageurs qui couvraient tout un itinéraire, comme ont pu le faire Marco Polo et son oncle, mais où les échanges et les commerces pullulaient avec des relais, des nœuds de communication, des ruptures de charge qui se transforment en lieux d’enrichissement financier et culturel. Mais globaliser l’histoire ne va pas sans risque en termes d’historiographie et d’ethnocentrisme.
Au-delà des mythes des sciapodes (personnages unijambistes qui se protégeaient du soleil avec leur pied), il fallait interpréter l’étrangeté des Autres.
Parmi les contributions les plus instructives, citons celle d’Alain Provost sur le Devisement du Monde de Marco Polo démontrant comment la limite entre « eux » et « nous » était à ses yeux beaucoup plus fragile et poreuse, engendrant plus une « rhétorique de la différence » qu’une « rhétorique de l’altérité ». Bouddha apparaît ainsi aux yeux du célèbre voyageur: « s’il eust esté crestiens, il eust esté uns granz sainz avecques Nostre Seigneur Jhesu Crist ». Mais l’auteur souligne que l’on retrouve dès le Xème siècle les traces christianisées de Bouddha dans les légendes des saints Balaam et Josaphat, décrites dans la Légende dorée de Jacques de Voragine pouvant expliquer l’apparente familiarité de Marco Polo à l’égard de Bouddha.
Pour autant, il faut aussi rester sérieux et Marco Polo place clairement la frontière de l’humanité au cannibalisme : « se protéger de ces hommes bestiaus qui mangeoient des hommes« .
Une analyse très fouillée des circuits maritimes du Pacifique par Dominique Barbe fait bien comprendre les arcanes d’une « thalassocratie » et de ses évolutions en fonction des courants et des vents marins dépendant de grands cycles comme El Niño, entre autres. Ces cycles vont engendrer de vastes mouvement d’expansion ou de rétractation des sociétés dites « pacifiques » (entre guillemets car belliqueuses et cannibales selon les conditions de sécheresse et de disette).
A une autre extrémité du monde, Alban Gautier nous apprend que le mot viking n’a jamais désigné un peuple mais leur activité de pillage (tout comme drakkar -qui signifie démon- est une invention du XIXème siècle), et que se sont croisées dans le grand Nord des influences très diversifiées. On a ainsi retrouvé dans une île lacustre de Suède, très active pendant la période viking, des monnaies d’Arabie, une crosse épiscopale irlandaise, une louche de communion copte d’Afrique du Nord et un Bouddha d’Asie Centrale, probablement arrivé là via des marchands suédois suivant la route de la Volga.
Alban Gautier développe dès lors toute une réflexion sur la christianisation de la Scandinavie, très éloignée de la vision simpliste des barbares vikings. En particulier, le culte de St Clément originaire de Crimée (retrouvé à Londres et auquel nombre d’églises sont consacrées en Normandie) aurait été « transmis de proche en proche par des intermédiaires scandinaves » via Kiev et Novgorod.
On le voit, chacune de ces 19 contributions, dont le sommaire est en ligne, est un voyage passionnant dans l’espace temps en s’articulant avec les modifications de l’espace (les fleuves et leurs cours changeant, les déserts), de la représentation du monde (les cartographies et les légendes comme celle du Père Jean), les circulations de marchandises et des hommes, les frontières comme espaces d’interaction plus que de division.
Un chapitre particulièrement éclairant concerne la circulation des savoirs et des techniques au travers de la description des modalités de l’uniformisation de la graphie de l’écriture, de la tradition du récit de voyage dans le monde islamique, de l’organisation « globalisée » des enseignements universitaires en Europe ou encore des circulations volontaires ou forcées des techniques d’artillerie.
La conclusion de Sylvie Denoix traduit bien ce sentiment d’histoire monde au sein duquel géographie et histoire s’entremêlent dans une vision dynamique des évolutions et des échanges, mais en soulignant les écueils à éviter : depuis l’ethnocentrisme jusqu’à l’abrasion de véritables différences en portant un regard trop distancié sur les sources historiques.
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