Un arrêté du Conseil d’Etat vient d’autoriser nommément le port de signes religieux dans les établissements d’enseignement paramédicaux.
Il distingue la qualité d’usager de service public lorsque les élèves suivent des cours de celle d’agent de service public, ou devant respecter le règlement intérieur de la structure privée, lorsqu’ils sont en stage.
Bien entendu, les réseaux islamophobes s’enflamment à cette nouvelle et d’autres acteurs plutôt bienveillants mais quelque peu négligents s’en font le relais. Il est certain que cet arrêté va perturber à la rentrée le fonctionnement de nombreux établissements, en particulier ceux qui avaient érigé la laïcité en dogme, s’épargnant ainsi les nécessaires échanges pédagogiques sur le thème.
Pour autant est-ce que cette décision ouvre vraiment une boîte de Pandore, autorisant tous les débordements futurs, ainsi que le fustigent les réseaux islamophobes ?
Pas sûr du tout, dans la mesure où les facultés de médecine et d’odontologie ont déjà appliqué ce principe depuis longtemps sans que des problèmes majeurs à l’hôpital n’aient été soulevés. Certains amphithéâtres sont à cet égard un fidèle reflet de la diversité française actuelle dont la vision éparpillée de voiles, kippas et autres turbans colorés, qui se côtoient en chahutant peut parfois désarçonner certains enseignants. On peut donc comprendre cette décision comme s’inscrivant dans le sens de l’universitarisation en cours de ces établissements d’enseignement.
Cet arrêté peut être conçu, au contraire, comme une opportunité pour susciter des échanges entre encadrants et élèves sur la différence entre la qualité d’agent de service public et celle d’usager, les préparant aux déséquilibres inhérents à la relation soignant soigné qu’ils auront à affronter. La gestion de ces déséquilibres fait précisément toute la difficulté et toute la noblesse du métier de soignant. S’il serait tout-à-fait possible d’étendre le raisonnement aux juges, aux enseignants, aux travailleurs sociaux, bref à toutes les fonctions relevant du service public, le soin revêt des dimensions encore plus fortes qui dépassent la religion.
Dans ce cadre précis du soin, il est donc nécessaire de replacer la laïcité dans sa stricte dimension de pacificateur social, comme on l’écrivait récemment (décidément thème d’actualité), pour lui donner la vraie place qu’elle mérite, et ne pas la fourvoyer dans des directions qu’elle n’a jamais abordées.
La notion même de « prendre soin » exige que le soignant n’émette aucun jugement explicite ou implicite (par une tenue vestimentaire ou une attitude déterminée) à l’égard du soigné. On a récemment parlé des stéréotypes à l’égard des personnes en surpoids qui affectent leur prise en charge médicale (on suppose par des soignants de poids « normal »). Ce cas de figure est très éloigné de ce que les principes de la laïcité prescrivent aux agents du service public, mais rejoint le même registre d’une relation de soin équitable et neutre.
L’enseignement du soin demande donc d’ouvrir sereinement un débat sur la nécessité de la neutralité (à tous égards) du soin pour instaurer une relation de confiance avec le soigné, allant bien au-delà de la proscription des gestes prosélytes (refus de soin d’une personne du sexe opposé, par exemple). Sans cette confiance, sans le sentiment de ne pas être jugé ou manipulé, d’un respect bienveillant et empathique, quelles que soient ses religions, opinions, orientations sexuelles, couleurs de peau, catégories sociales, générations… pas de soin envisageable.
Tout ce débat renvoie à la formation des professionnels dans le cadre de leur propre vécu, leur personnalité, ce que l’ORSPERE appelle la « professionalité », c’est à dire comment tout un chacun va habiter son métier d’une façon qui lui est propre et qui interfére avec la qualité des soins qu’il prodigue. Prendre conscience durant l’apprentissage de ses propres biais de jugement, de ses stéréotypes, permet aux futurs soignants de s’éviter nombre de déconvenues lors de leurs premiers pas dans le métier.
Cependant, les débats mettant en scène la religion ne sont pas faciles à mener. Nombre d’enseignants paramédicaux (et bien entendu médicaux aussi, voir la note de lecture sur le « guide de la laïcité ») ne se sentent pas outillés pour les organiser, voire même les esquivent par peur de se faire déborder, se contentant de renvoyer au règlement de la fonction publique sans en expliciter les arguments. Une telle attitude dogmatique, on l’a dit, fragilise le concept même de laïcité en laissant prise aux coups de boutoir de tous les autres dogmatismes.
Il n’est en effet pas question non plus de faire de l’angélisme béat en ignorant ce que ces procès et revendications peuvent parfois sous tendre comme vision de la société, mais encore une fois, battons-nous sur le bon terrain: celui des droits de l’homme, de la place et du rôle des femmes dans la société, de la liberté d’expression, etc., pas sur celui de la laïcité qui, rappelons-le, ne concerne « que » le rapport entre pouvoir et transcendance.
Tentons donc de percevoir cet arrêté comme une occasion de former les encadrants aux notions de diversité culturelle, d’interculturalité, d’ouverture à l’Autre, afin qu’ils inscrivent leur enseignement du soin dans une perspective ouverte et constructive, dont la laïcité est un outil, mais parmi beaucoup d’autres.
Stéphane Tessier
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