Benedetta Bonichi, Donna che si pettina www.editionsvp.com
« Les miroirs sont obscènes : ils reproduisent les êtres humains sans amour »
Jorge Luis Borges
Dans le cadre du colloque « Compétences et finalités de l’éducation des professionnels de la santé. Comment faire évoluer les institutions, les programmes et les pratiques pédagogiques ? » organisé par SIFEM à Grenoble 24-27 octobre
Organisateur : Stéphane Tessier, médecin de santé publique, REGARDS,
Intervenants : Iram La Torre, praticien hospitalier, hôpital de Montargis et écrivain, et Dominique Sirinelli, Professeur de radiologie pédiatrique, CHRU de Tours
La mise en image du mystère des équilibres de la vie et de la mort, afin, littéralement, de l’élucider fait l’objet d’une préoccupation humaine qui ne s’est jamais démentie depuis les premiers gribouillages préhistoriques jusqu’aux actuels pixels. Ainsi, le sens le plus sollicité pour décrypter la réalité est la vue, par son statut d’organe de perception le plus précis, le plus instantané, le plus fiable. En corollaire, l’invisible est réputé dangereux, inatteignable et ne peut être véritablement combattu.
A cette première vocation descriptive de l’image, va s’ajouter celle de distanciation. L’acte de soigner reposait naguère sur un contact humain de très forte proximité, autant sensoriel que sensuel. Un être de chair, le médecin, s’appropriait la maladie qui lui était présentée, s’identifiait à la souffrance, l’analysait dans toutes ses dimensions perceptuelles (la vue bien entendu, mais aussi l’ouïe, le toucher, l’odorat et même parfois le goût, lorsque les soignants osaient encore une absorption littérale de la souffrance de l’autre), l’incorporait symboliquement et en régurgitait une prescription véhiculant le remède avec l’identification du mal. Tout était métabolisé dans le cadre d’un corps à corps : corps souffrant et corps soignant, lequel tirait de cette incorporation la force de symbolisation d’un discours construit au tournant du XVIII° siècle. Une telle « affectivité » de la clinique discursive, un peu mise de coté par Michel Foucault lorsqu’il en décrit la naissance(1), peut se retrouver dans certaines tentatives récentes de « sociologie caressante » qui cherchent une empathie avec l’objet d’étude (2). Aujourd’hui, pour des raisons diverses, hygiénistes, technicistes, etc., cette incorporation n’est plus. Soignants et soignés ont à cœur de mettre de la distance dans leurs relations, et ont bâti l’imagerie comme un tiers projectif sur lequel peut s’épandre et se lire la souffrance. La surenchère technique et le recours exclusif à l’image qui traversent l’ensemble du corps social « moderne » ont fait le reste. Face à l’immédiateté de l’évidence visuelle, les usages classiques de la clinique semblent passés de mode.
Troisième vocation, l’image a aussi la fonction emblématique définie par Pierre Legendre, à savoir le comblement du vide (3). En médecine, le vide est double : à celui, déjà cité, que la technologie creuse entre le médecin et son patient, s’ajoute celui que l’organisation des soins creuse entre elle et le personnel soignant. Pour l’organisation « moderne », le sujet s’efface devant l’acte qui, protocolisé, budgétisé, requiert d’être visualisé pour avoir droit d’exister. Le contrôle des actes exige la production par le personnel soignant de preuves de l’avoir effectué, et quelle meilleure preuve que l’image-document ?
Cherchant à former les médecins pour agir dans un environnement « moderne », l’enseignement va suivre cette tendance au comblement des deux vides, en privilégiant de façon déraisonnée les examens complémentaires à leur extrême. La rivalité entre étudiants, la certification diplômante, l’organisation du contrôle, tant au lit du patient que dans les questions sur table graviteront autour des capacités de mobiliser et de décrypter la bonne technologie, au bon moment.
A l’heure où, dans tous les secteurs de la société se pose la question de remettre l’humain au centre des pratiques, comment remettre aussi la médecine sur les rails d’une cure humaniste ? Quelles méthodes d’enseignement pourraient ouvrir les esprits des futurs médecins à cet humanisme « détechnologisé »?
L’atelier tournera donc autour de quatre questions :
Quelle distanciation transmettre aux futurs médecins à l’égard de la technologie, ses séductions et ses périls ?
Quelle part de rupture avec l’environnement qui fonde tout sur technique et image ?
Quelle valorisation de la clinique nécessaire et suffisante doit être maintenue dans l’enseignement, malgré sa fiabilité relative ?
En résumé, comment enseigner l’esprit critique humaniste ?
Déroulé de l’atelier :
Présentation des participants, exposé des attentes (10 mn)
Exposés introductifs (10 mn) :
Stéphane Tessier : « Icônes et images » Texte
Dominique Sirinelli : « Le beau n’est pas le vrai : le patient occulté par son image »
Iram La Torre : « La tentation du miroir »
Questions (uniquement sur des points obscurs)
Jeu de rôle avec observation active des participants :
Un patient, un (jeune) médecin et son radiologue (au cuir usé) 10 mn préparation, 10 mn jeu, 20 mn restitution des observations et débat ;
Échanges sur comment élaborer des pistes de réponse aux questions posées ? 20 mn
Conclusion 10 mn
Notes
1) Michel Foucault, Naissance de la clinique, 1963, Ed Quadrige 1988
2) Michel Maffesoli, Eloge de la raison sensible, Grasset, Paris, 1996
3) Pierre Legendre ; De la société comme texte ; Fayard 2001, p. 132
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