Frantz Fanon (Fort-de-France, 1925 – Washington, 1961), psychiatre né antillais, mort algérien, fut médecin chef de 1953 à 1956 de l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie, et militant politique de la lutte contre la colonisation en Algérie d’abord puis en Afrique subsaharienne.
Ses deux ouvrages majeurs : Peau noire, masques blancs, préfacé par Francis Jeanson, en 1952 ; Les damnés de la terre, préfacé par Jean-Paul Sartre, en 1961.
L’évocation de la figure de Fanon en relation avec les problématiques de l’altérité et de l’interculturalité relève presque de l’évidence. Son œuvre est l’expression et le fruit d’une tentative sans cesse relancée de lier sujet de l’histoire — coloniale en l’espèce — et sujet de l’inconscient au sens que lui donne la psychanalyse. Fanon veut établir une continuité entre les questions de la psyché, de la folie, de l’institution psychiatrique et de la lutte politique anticoloniale.
En d’autres termes, parce qu’il est Antillais et psychiatre et que justement il en réfute les effets d’assignation, Fanon est conduit à repenser la colonisation et sa logique sous l’angle de ses liens avec les processus de subjectivation toujours à relancer. Une démarche qui donne à cette œuvre son actualité dans un contexte où quêtes et crises « identitaires » relancent la rigidification de toute pensée de l’altérité.
Fanon n’est pas un pur idéologue : il pose comme horizon de sa pensée la coïncidence possible entre les espaces symboliques de l’écriture et de la praxis, il appelle à de nouvelles formes stylistiques et culturelles.
Du colonisé Noir Antillais aux colonisés d’Afrique du Nord, et à tous les colonisés, du « fou » de la psychiatrie coloniale à tous les « fous », Fanon identifie le même procès en aliénation. Ainsi son œuvre pourrait-elle se résumer en une formule : comment guérir le colonisé de son aliénation ?
« Libérer l’homme de couleur de lui-même », suppose pour Fanon que le colonisé a intériorisé les discours tenus sur lui par les colonisateurs. La conséquence, son aliénation subjective et sa tentation de ressembler à celui qui l’opprime. La domination psychologique du colonisateur vient s’ajouter aux autres, territoriales, économiques… Fanon évoque ainsi « le complexe d’infériorité » du Noir, non pas sur le mode culturaliste du racisme idéologique, mais en tant que forme psychique inculquée, avec son corollaire, la haine de soi.
À ce titre Fanon se démarque d’autres approches, singulièrement de celle d’Octave Mannoni, qui à des degrés divers installent en miroir de l’idéologie du colonisateur une forme d’essentialisme du Noir ou du colonisé. Ni culture identitaire ni mythe d’un retour aux origines, pas plus que de « négritude » pour Fanon.
Il s’agit pour lui dans un même mouvement de décoloniser les territoires et les esprits, de supprimer les clivages entre « races » en vue de ce qu’il désigne comme « une nouvelle espèce d’homme ». Une œuvre de déconstruction de cette logique coloniale fondée sur l’inégalité des races et sur la domination du monde occidental sur les autres.
Il reste la question des moyens d’accès à son idéal. Le recours à la violence pour le colonisé vaut pour Fanon comme « contre-violence » à la hauteur de celle du colonisateur, elle est dès lors légitime. Mais, du point de vue de la subjectivation, la violence est-elle une voie vers la désaliénation attendue ?
L’œuvre de Fanon ne saurait par conséquent être figée en un viatique d’une décolonisation des corps et des esprits. Elle peut ouvrir à de possibles dépassements des impasses culturalistes ou identitaires à la condition d’être travaillée, discutée et critiquée ; elle rouvre d’autres approches des tensions contemporaines dans la culture et la psyché, d’autres voies de désaliénation.
Présentation de Yannick FRANÇOIS, pédopsychiatre : Actualité de Frantz Fanon en 2013
Texte sur la convergence Frantz Fanon-Paulo Freire(en espagnol)
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