A l’occasion du samedi de REGARDS sur l’interculturalité en pratiques , Monique Bouthelot a bien voulu nous transmettre un document sur les soins palliatifs, rédigé par une équipe de soins palliatifs de Franche Comté (Réseau ARESPA et Fédération Alter) et qui a pour objectif de guider les professionnels parmi le maquis des croyances :
Ce document (1) permettrait donc aux soignants de ne plus être perdus face aux souhaits, volontés, exigences des patients liées à leurs croyances, dans la situation de la fin de vie. L’intention est louable, les praticiens étant souvent en perdition et leurs comportements confinant parfois à la violence, le plus souvent à leur propre insu. Pour autant, la naïveté de la démarche laisse pantois. Le tableau à double entrée renvoie directement à la façon de penser les protocoles de soin dont on ne doit pas s’écarter dans des situations bien déterminées. Ainsi, la tradition africaine est-elle enserrée dans une case, tout comme le bouddhisme, comme si des continents entiers pouvaient se résumer à une seule colonne homogène.
Du reste, les auteurs ont semble-t-il eu quelque mal à remplir les cases africaines qui renvoient souvent aux « rites de la communauté », tout en véhiculant certains stéréotypes comme les « tabous » dont la tradition africaine serait ainsi la seule détentrice alors que la case précédente dote le bouddhisme d’une « volonté de préserver l’intégrité des corps », euphémisation que l’on n’autorise pas pour l’Afrique, la viande qu’on y « égorge », alors qu’elle est ailleurs Halal ou Casher, la « vigilance du soignant pour faire considérer le traitement comme une offrande », vigilance quelque peu infantilisante.
Si, par charité, on s’abstiendra de trop commenter les phrases de la ligne « ne pas faire » en période d’agonie ou d’autres affirmations qui sont consternantes, la ligne la plus étonnante est encore celle du don d’organes où strictement les mêmes décisions sont présentées sous des perspectives d’apparences très différentes.
Mais surtout, il est intéressant de remarquer que la lecture de ce tableau laisse entendre que les religions chrétiennes montrent pour les auteurs une grande absence de contrainte et une compliance quasi parfaite aux injonctions de l’institution hospitalière. Les champs restés vides témoigneraient ainsi de la compatibilité des structures hospitalières habituelles avec ces « croyances », ou du moins, ce que les auteurs de cette plaquette en connaissent. Les choses sont évidemment plus complexes car les situations décrites dans notre programme de formation en puériculture à l’IPP font souvent référence à ces cultes comme pouvant engendrer des conflits.
Au-delà de l’évidente impression de familiarité des auteurs de cette plaquette face au christianisme plutôt qu’à l’exotisme des autres cultes (entre autres, on précise le retrait des tuyaux en post-mortem pour l’Islam et le Judaïsme, ce qu’il semble inutile de faire pour le Christianisme alors que bien entendu le même geste est fait…), cette facilité est-elle liée à une plus grande faiblesse des religions chrétiennes face à l’institution hospitalière ?
Probablement insuffisante, cette explication amène néanmoins à imaginer que cette apparente compatibilité pourrait être liée à l’histoire des structures hospitalières françaises, et singulièrement à leurs origines chrétiennes dont les traces seraient encore largement perceptibles dans les pratiques. Cette analyse renverrait à envisager une sorte de construction chrétienne de la laïcité.
Ainsi, on peut être sûr que les thérapies à base de gélatine de porc et de solution alcoolique sont dans les faits des solutions pharmaceutiques religieusement très marquées, même si les alternatives thérapeutiques peuvent parfois manquer. Que diraient les auteurs d’un traitement à base de Haschisch ou de produits ayurvédiques ? Tous produits que la médecine par les preuves récuse, se positionnant quasiment comme un autre culte.
Cette conception d’une « laïcité hospitalière chrétienne » permettrait sans doute de mieux percevoir les points de frottements entre l’institution hospitalière et les cultes, en cherchant les traces chrétiennes dans les pratiques quotidiennes de l’hôpital, et permettre de distinguer les éléments chrétiens qui ont trouvé un fondement scientifique, comme ces thérapeutiques citées plus haut, de ceux qui en sont démunis et pouvoir ainsi faire la part des choses. Ce serait une façon d’éviter une guerre des religions à l’hôpital, que ce document ne semble pas de nature à prévenir.
Mais en même temps, en reprenant les réflexions sur la colonialité menées en 2011 et 2012, le rôle du soignant doit-il véritablement se dissocier de celui de citoyen au point de tolérer des pratiques qu’il ne tolérerait pas en d’autres circonstances ? On pense à la ségrégation des sexes, entre autres dispositifs d’aliénation dont le Christianisme n’est absolument pas exempt. La question mérite d’être posée, même si aucune réponse satisfaisante ne semble à portée immédiate. En tout cas, il faut refuser la paresse intellectuelle qui ferait suivre de tels conseils primaires sans autre forme de procès.
De fait, les seules propositions un peu sensées apparaissent dans la colonne « Bouddhisme » où il est régulièrement préconisé de « demander au patient »…
(1) dont Isabelle Lévy a exigé le retrait du site de REGARDS, après avoir plusieurs années auparavant exigé un « arrangement amiable »(sans recours judiciaire) dûment monnayé avec ses auteurs, en compensation du « préjudice subi » car s’estimant plagiée. On croit rêver.
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