« LA MEDIATION DANS L’INNOVATION SOCIALE »
Histoire, évolution et perspectives
Journée régionale FIA 4 Juin 2009 Salle des conférences, Hôtel du Département, Rouen St Sever
8h45 Accueil du public
9h15 Ouverture par un officiel du Conseil Général
9h30 Historique de la médiation
Comment l’émergence de la médiation a ré-interrogé les pratiques sociales
Elise LEMERCIER, Présidente de FIA Normandie
Adolé ANKRAH, Directrice FIA/ISM Paris
10h Cultures du social, social des cultures : l’obligation de l’innovation par la médiation (texte ci-dessous)
Stéphane TESSIER, Médecin de santé publique, président de REGARDS,
10h30 Débat, échanges
11h Pause
11h15 Médiation et Travail social : Quelle complémentarité ?
Marie-Madeleine BLANCHARD, Assistante Sociale
Témoignages de médiatrices du réseau dans les différents champs d’intervention
Social : Le centre Social du Puchot
Juridique : Maison du Droit et de la Médiation à Evreux
Santé et socio-culturel Scolaire (la M.J.C. d’Elbeuf et L’ASPIC)
14h Etats des lieux, nouveaux besoins : nécessité et perspectives
Guyslaine MORROW, Directrice de l’ASPIC
Maître Cécille MADELINE, Avocate (aspect juridique) Enfance en danger, cultures et lois
15h Echanges
15h30 Regards croisés des institutions et des associations
Quelles politiques de Médiation ? Comment conjuguer nos efforts ? Quels outils, quels moyens ?
Le Conseil Général, La Ville de Rouen, L’ACSE, Néné SOW CAMARA, coordinatrice FIA Normandie
Cultures du social, social des cultures : l’obligation de l’innovation par la médiation
Dr Stéphane Tessier
FIA Rouen 4/06/2009
Institutions du social et usagers se font face et l’interaction de leurs imaginaires et appartenances se produit souvent avec frictions et difficultés. L’interface entre l’institution et l’usager évolue en permanence, engendrant de nouvelles terminologies : client, usager, hébergé, patient, etc. dont le sens modifie les pratiques et les techniques.
En effet, les champs culturels se recomposent pour de multiples raisons : diversification des disciplines, de la fragmentation du secteur en institutions dont les missions sont elles-mêmes évolutives, selon les lois de décentralisation, reconcentration, qu’imaginent les mécanos de l’administration, selon aussi la diversification des opérateurs de terrain, qui fait pièce à celle des populations.
Intervenir coûte que coûte : les cultures du social
La légitimation du travailleur social est d’être intervenante, il lui faut un acte pour survivre.
Ainsi le jeune doit-il poser un acte avant d’être considéré, pris en compte par soit la PJJ, soit le CMP, selon sa chance.
Tant que cet acte individualisable, bien précis entrant dans des catégories reconnues par l’institution n’aura pas été posé, sa souffrance diffuse ne pourra être prise en compte.
L’institution pousse au passage à l’acte!
Celui-ci posé, elle se mobilisera en organisant la communication entre un collectif singularisé (la médecine incarnée par le médecin, la justice par un juge, l’éducation par un professeur), et un être singulier qui le reste. Ce patient, délinquant, usager, jeune, aura l’obligation d’inscrire sa réponse dans les lignes que comprend l’institution.
Ça vous gratouille ou ça vous chatouille? Si ça le picote, que répondra-t-il? L’égalité dans la communication, on le voit, pose déjà question.
Récemment, l’institution a brandi un autre danger, celui de la collectivisation des ces êtres singuliers: d’abord en communautés, maintenant en bandes régulièrement convoquées au JT avant les élections, le floutage ne laissant pas ignorer la coloration de ces bandes de jeunes! Collectif contre collectif, l’institution ne s’y est pas préparée, et son ignorance engendre l’angoisse de l’inconnu.
Des univers étranges : le social des cultures
C’est vrai que face aux institutions on a des drôles de zigs: les gens, multiples, variés, avec lesquels il faut composer et qui sont de plus en plus divers. Car les cultures au sens anthropologique du terme se sont socialisées. Une simultanéité observable entre migration « visible » et prolétariat a réactualisé les réflexions ouvrières naguère structurées autour des polonais, des espagnols, des italiens, tous caucasiens… Aujourd’hui, elle a une dimension inédite liée aux histoires coloniales qui président aux migrations actuelles, histoires douloureuses, pas digérées! Il faut sans doute ainsi comprendre l’impensé du culturel dans le social que j’évoquais dans une récente intervention.
Tout autour de nous résonne le terme « culture », le différent, la diversité. Jamais, on n’en a autant parlé, mais en se centrant exclusivement sur la visibilité des minorités (et on sait à quel point cette visibilité restreint le concept de culture) en particulier pauvres.
Quand on évoque la culture, on renvoie le plus souvent dans le secteur du social à celle de la famille, unité de base des sociétés autrefois en France comptée en « feux » plurigénérationnels, sur lesquels s’est fondé le droit de vote. Cette famille, après avoir été nucléarisée au XIX°, s’est transformée en unité souvent monoparentale, parfois homoparentale, voire polygame,. Elle continue de structurer les relations des individus avec l’environnement social : la famille reste l’unité de contact de la consommation, du logement, de toutes les institutions.
Mais la question culturelle n’est pas véritablement posée. Depuis le colloque du DERPAD en 2007 (culture des familles, cultures des institutions : alliance ou malentendu…), aucune demande d’intervention mobilisant cette dimension culturelle ne s’est fait jour. Comme si tous les conflits, toutes les incompréhensions entre jeunes et équipes étaient déconnectées des cultures, ou plus exactement comme si celles-ci étaient déniées par les équipes. Les raisons peuvent être cherchées dans plusieurs dimensions à la fois contradictoires et complémentaires.
La première posture est celle que j’ai nommée l’aveuglement salvateur.
Insatisfaits par les catégories stigmatisées du migrant, du migrateur… auxquelles on assigne la migration comme étant la cause principale de la souffrance, et devant l’absence d’alternative de pensée, les acteurs du social peuvent adopter une posture de cécité afin d’éviter de construire ou de renforcer ces stéréotypes.
Une telle attitude procède de cette noble idée de l’antiracisme et de l’ouverture à l’Autre. Mais, bien consciente que quand même quelque chose se noue par là-bas, le refoulé ré-émerge, source d’attitudes parfois un peu candides, que d’aucuns ont nommé la « pédagogie couscous » : on se rassemble autour d’un plat festif, mus par une curiosité bienveillante mais, délibérément, on occulte les enjeux de pouvoirs, de contrôle, de légitimité de la détention de la vérité, ou on fait semblant de ne pas les voir.
C’est aussi la prudence face à un secteur totalement inconnu, l’acteur social se sentant sans compétence pour l’aborder, avec toujours le risque de passer pour être stigmatisant, voire de se faire traiter de raciste, perspective à juste titre insupportable. C’est cette sensation de malaise confus, qui ne parvient pas à être rationalisée, car l’expérience concrète montre que… quand même… face aux propositions de systématiser les statistiques ethniques d’où ressortiront que les maghrébins sont plus dépressifs que les asiatiques (Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire), lesquels sont moins contaminés par le VIH que les africains, lesquels… On connaît l’inanité scientifique du reste du discours, et pourtant régulièrement une bonne âme remet le sujet à l’honneur, sans fin.
Un tel retour à l’évolutionnisme classique (l’année 2009 est l’année Darwin, voyez le site) veut-elle ignorer que ces « origines » diverses (couleur, naissance, parents?) engendrent surtout une entrée en société diversifiée et, ne reflétant pas un atavisme génétique, laissent en réalité une infinie marge de parcours et trajectoires possibles fortement contraints par l’environnement socio-historique.
En outre, on peut souligner un petit détail piquant: la question posée pour ces statistiques ethniques est le ressenti de l’appartenance. Or, on vient de constituer un délit d’appartenance, au prétexte de la lutte contre les bandes organisées… Où se situera la limite entre statistique et contravention?
Il vaut sans doute mieux effectivement s’abstenir lorsqu’on ne sait pas!
En miroir, la caricature instrumentale, celle qui renvoie à l’appartenance ethnique l’explication de tous les déficits, dysfonctionnements, problèmes. Une telle dialectique de lien de causalité ethnique n’est pas nouvelle (même si l’alternative n’en a pas encore été correctement pensée) et elle ne peut qu’effrayer le travailleur social.
Mais il y a aussi une autre caricature qui transforme la notion même de culture en objet d’opprobre, source d’un rejet des élites par le truchement du fameux communautarisme. Épouvantail brandi au nom de la République une et indivisible qu’assiégeraient des hordes de collectifs dont on a parlé à l’instant. Au final, ce communautarisme est tellement craint qu’il paralyse les neurones, et fige les catégories. Quoi de plus enfermant en effet que de renvoyer à l’inaction, de refuser d’analyser les logiques d’identification, de territoire, d’appartenance, même si parfois, mais jamais systématiquement, elle suivent certaines logiques de visibilité. Laisser les relations entre acteurs du social et usagers, se mettre en place de façon spontanée, un peu comme la logique du libéralisme qui laisse la main invisible réguler les marchés, on a vu ce que ça a donné!
Face à ces deux pôles, le TS n’a d’autre choix que de se détourner de l’objet « culture » auquel non seulement il ne comprend rien mais où il pressent qu’il a beaucoup à perdre. S’il est outillé pour du social, du soin, de l’éducatif, du droit, il ne l’est pas pour envisager la gangue symbolique où toutes ces notions s’enchâssent : la culture où s’enchevêtrent histoire, géographie de façon parfois ironique.
En outre, la dimension de l’imaginaire au sens le plus mystique du terme, à l’œuvre dans ces registres culturels est si fortement inquiétante, porteuse de tant de dangers, qu’elle ne peut être sereinement abordée.
Il nous faut donc décomplexer l’acteur social à l’égard des cultures, tout en lui donnant des balises qui lui permettent de réfléchir le réel en articulation avec son éthique et ses missions.
Le réel est complexe, les tensions croissantes. Comment parvenir à tisser des liens, à surmonter les inévitables ruptures que les inégalités engendrent? Est-ce vraiment au travailleur social de bricoler avec tous les risques que cela comporte ? Aussi bien les dysfonctionnements observés ne sont-ils donc pas le plus souvent d’origine culturelle, la culture peut quand même jouer un rôle dans leur règlement.
Ainsi se profile un bouleversement des métiers de la proximité où s’atténue la diversité segmentée des professions, à l’origine de nombreux malentendus « culturels », au sens des disciplines. Juges, médecins, policiers, psychiatres, éducateurs, animateurs socio-culturels, convergent vers des constats et des pratiques de même nature.
On peut espérer qu’en quête de cette nouvelle « professionnalité », décrite par le numéro de décembre 2008 de Rhizome, qui est à l’opposé du professionnalisme, les acteurs du social reconstruiront une démarche qui privilégie la prise en compte de l’humain à celle de l’acte technique, quelle qu’en soit la discipline.
Encore faut-il que la technostructure lâche prise sur sa demande de chiffres et nous en laisse le loisir. Et c’est sans doute à nous de l’exiger.
Deux solutions pour l’interface
Imaginer une éthique de l’interface qui guide les acteurs tout en préservant les usagers, passe par la création de nouveaux outils de médiation qui savent analyser la complexité en particulier historique des situations. Faute de tels outils ,on sombre dans la caricature dont on nous abreuve largement en période pré-électorale. Cette innovation est de notre responsabilité la plus urgente car son absence va conduire la technostructure à la prise de pouvoir absolue.
Humaniser ou guichet automatique
Fort des automatismes de la relation créée par l’administration qui veut tout uniformiser, tout banaliser, tout mathématiser, la technostructure propose l’automatisation pour mieux robotiser. Les guichets automatiques fleurissent un peu partout, remplaçant la guichetière certes acariâtre mais avec qui on pouvait se prendre la tête. Les caissières s’effacent devant les auto contrôles, et voilà ce que le métro a réussi à inventer.
La question de la médiation (interposition d’un tiers humain dans l’interface institution usager) permet seule de faire sens, de rechercher dans chacune des parties les éléments de convergence, de divergence ou de complémentarité, mais surtout d’intelligibilité humaine. L’irruption qu’elle soit voulue ou non, des questions culturelles dans l’explication ou la résolution des cas présentés renforce la nécessité de ce tiers « compréhensif ». Nous sommes donc condamnés à cette innovation.
Les limites de la médiation restent cependant nombreuses et exigent éthique et formation. Parmi les obstacles à éviter, on peut citer : Faire écran entre le professionnel et l’usager, ou s’y substituer : « Faire à la place de » C’est tout l’art de faire « tiers », qui loin d’être faire taire, au contraire, est de faire circuler paroles et symboles au sein d’une relation enrichie de ses dimensions historiques, affectives, émotionnelles que jamais, jamais, un guichet automatique ne pourra transmettre.
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